Origine(l)

Les brumes, en tant que projet à la lisière de l'installation et de la performance, est venu en réponse à ce questionnement personnel persistant sur les expériences de perceptions du spectateur_ auditeur_voyeur. Et du désir d’inventer d'autres places, plus glissantes, entre les protagonistes et les environnements, en suscitant des allers-retours entre stimuli au présent et réminiscences d’une histoire individuelle et collective. Une actualisation performative de la localisation donc, mais avant tout un jeu avec la fondation à la fois culturelle et physiologique de la perception et du regard.

La métaphore de la brume

En travaillant sur une immersion dans un brouillard artificiel, dans cette matière opaque mais néanmoins aérienne, sans réelle visibilité mais néanmoins génératrice d’horizons, il s’agit d’opérer un glissement de l’attention. Le regard perd en effet de sa primauté et laisse les autres formes de perception prendre le relais, au sens le plus littéral, non seulement pour limiter les sensations de perte d’espace (car il n’y a plus ni sol ni murs ni réalité des distances entre soi et le monde) mais également pour laisser l’imaginaire reconstituer le paysage et ses habitants. Tant de clarté blanche évoque la banquise, un bord de rivière en rase campagne, une vision métaphysique de science-fiction, une vision de vide absolu. La présence en mouvement à l’intérieur de cet environnement qui dissout, est celle d’un corps énigme, d’un être qui échappe aux identifications immédiates. Dès lors toute son activité et tout ce qui l’englobe acquiert une importance particulière. C’est ainsi que la partition sonore vient s’appliquer comme élément indispensable de la compréhension, voire de l’appréhension de la situation. Le son, surgissant des différentes sources (enceintes qui englobent tout l’espace et petites enceintes posées autonomes sous les vêtements) ramène différents espaces à l’intérieur du lieu : par exemple un cheminement à travers une fête foraine, installée à proximité puis disparue au moment de la présentation publique. Mais aussi à l'intérieur des lieux qui habitent le lieu : il y a ainsi les sons qui proviennent des activités du corps qui parcourt l'espace - claquements, glissements et autres chuintements - mais aussi d’autres indices sonores qui s'échappent des vêtements, agitant le spectre d'une présence multiple.

Enveloppes

Où se posent les bords, les limites et les contours des corps - du théâtre, des personnes, de l’imaginaire ? Qu’est-ce qui assure le lien entre un dedans et un dehors supposés, ou encore la jonction entre regardant et regardé, et touchant et touché ? Quel genre de couche, d’enveloppe, de voile ? Un questionnement qui traverse de multiples et vastes sphères. La sphère de l’intime : soi et ses propres définitions, représentations, géographies personnelles et organiques ; comme celle de l’espace scénique : la question théâtrale de la porosité des murs, des structures ; ou encore celle de la dimension symbolique et ethnographique : trames et influences culturelles, contextes socio-historiques. En ce sens il y a un jeu permanent avec la perméabilité des frontières, tels l'espace corps_peau ou l'espace air_ sol. Le spectateur est dès lors convié à une extrême activité, immergé dans une situation dont les limites se recomposent sans cesse. Il est mobilisé depuis sa part sensorielle la plus première

L’invisible versus le perceptible

Opérer des glissements sur_dans_avec l’identité de la figure, ici la danseuse. La « danseuse » étant entendue au sens le plus abstrait de « présence scénique ». Jusqu’où peut-on dissimuler et travestir les signes permettant d’être reconnu, ou identifié ? Se cherche donc une présence qui se dilate et se redéfinit, en s’articulant avec tout ce qui fait présence à égalité dans l’espace de représentation, c’est-à-dire toute information du domaine du perceptible (sonore, visuelle et autre). La conséquence de ce principe est qu'un tel espace scénique devient par là-même contenant et contenu, faisant résonner les composantes de la perception entre elles, tirant parti des capacités de projection de chaque témoin.

Vers l’innommable

Le travail de corps et de voix aborde une dimension archaïque de l’humanité. C’est là une fiction, celle de l’humain archaïque, qui permet de se jouer des schémas corporels propre à l’humain, notamment sur une scène de théâtre. Qu’y-aurait-il en amont ? Des organes ? Des orifices ? Des gorges ? Partir en quête du primitif, c’est peut-être aussi explorer les résurgences animales ou prénatales, pour une autre sorte de mise à nu. Le visage reste ce qu’on lit immédiatement, ce qui envoie les signes les plus clairs. On l’invite à s’offrir, à se laisser influencer et donc à muter in vivo, en fonction de ce qui l’entoure.

Entente

Se poursuit un questionnement sur le spectacle en tant que tel, sur les pratiques qui s’y rattachent, et sur ce que la forme performative partage de spécifique. Il y a un endroit d’entente, dans le sens d’accord et d’empathie, mais aussi d’écoute, c'est à dire de disponibilité, qui permet de communiquer depuis une véritable profondeur de l'individualité.
Interroger aujourd'hui l’objet « spectacle » à travers la déconstruction de l’image, ce n'est donc pas tant un désir de produire un format scénique parfait que celui de partager une expérience de perdition collective.